Mais qu'est ce que je fous là ?
Vous êtes là à
bavarder avec de vieilles connaissances
ou d'obscures collègues du beau
temps et surtout de la pluie,
du dernier trop long métrage
très " in ", de ces chansonniers
si engagés et
généreux chantant pour les restos du coeur...
D'un écrivain tenace à
patauger dans le merdeux hit parade littéraire,
de ce poète enseveli
réintégré contre sa volonté dans
l'actualité
de l'anniversaire de sa naissance ou de sa
mort. Amen.
De votre normalité si complaisante
soit elle,
de votre libido en phase avec les trois
quart de votre entourage
( ce qui n'est pas un exploit...)
D'une telle si garce, d'un autre si
benêt,
de la dernière info
lyophilisée,
du prochain match de l'équipe de
France,
de la montée des eaux et des
descentes aux enfers,
de l'infâme agression des barbares,
du désir sécuritaire, du
peureux frisson de l'existence,
du visage de l'économie mondiale,
du prix au kilo de faux-filet,
du malheur planifié des uns
et de la félicité
matérielle des autres,
du grand complot des puissants
- Et que nous on y peut rien,
mon brave monsieur...
Vous êtes là avec votre
valise de phrases toutes faites,
signe d'intégration
et tout à coup vous vous sentez
aspiré par un vent
qui souffle, qui souffle, une bourrasque
qui vous emporte
vers d'étranges destinations,
plus rien ne vous retient aux amarres
surtout pas les neutres
banalités qui s'empilent
plus connes les unes que les autres.
Une enseigne lumineuse clignote
dans votre cerveau avec inscrit
" Mais qu'est ce que je
fous là ?..."
triste figurant du vaudeville humain.
" Mais qu'est ce que je
fous là ?..."
Cette interrogation comme une
poignée de porte
qui peut être ouvrirait le coffre
fort
du bonheur et de toutes les
pétillantes questions
de la tonitruante humanité.
On franchirait bien ce pas de porte.
On est bien trop lâche.
Le vent s'adoucit et nous dépose
enclume
dans le sérieux revenu des
parlottes.
De toute façon, nous ne sommes pas
doués pour le bonheur
et peut être que le bonheur ne veut
pas de nous.
De peur qu'avec nos drôles de
manières
nous ne le transformions en malheur.
Je crois qu'il a pas tort.
Toméra B (novembre 2007)
|
Jacques Sébastien Gaétan
Lorgne habite au 46 de la rue Valmy, à Tours, dans une
belle maison en tuffaut qui protège du froid, avec son
épouse Ghislaine Juliette Aurore Lorgne et leur deux
enfants encore au stade de la conception intellectuelle mais au
combien présents tant l'on sait la puissance d'influence
du fantasme sur la vie humaine. Mathieu Marc Jean Luc Paul
Lorgne et Philippine Lorgne ne sont donc pas encore nés
que leurs voeux criards, leurs bourrelets odorants et leurs
déglutitions sont déjà sources de rires
comme de larmes pour leurs parents cadres et psychotiques.
Jacques et Ghislaine prennent tous les samedis la pilule du
bonheur avant d'aller rêver chez Schmidt devant les
futurs meubles du cagibi qu'ils emménageront pour leurs
deux faux jumeaux dans les combles sans fenêtre où
ils stockent la laine de verre. La pilule du bonheur leur
permet de ne pas perturber dans leur travail les
caissières et les chefs de rayon par une mine
troublée ou peu engageante qui pourrait faire se
demander à Madame Schmidt ce qu'elle fout là
à une telle heure de la journée à se
crever le cul pour trois ronds alors qu'elle a un bac+5, si en
plus les gens font la gueule. Il peut arriver cependant que ce
soit parfois eux, les employés du supermarché
préféré de notre couple modèle, qui
s'affichent maladroitement placides et maussades, à
cause d'une vie - pourtant sereine - qui ne les satisfait pas
pleinement. Dans ce cas, le directeur du supermarché
sait trouver dans le regard implorant mais sévère
du client désappointé un signal puis un soutien
à une opération de licenciement express.
La pilule du bonheur lave le blanc des
yeux comme les oignons et permet d'augmenter la netteté
des images qui se reflètent sur la rétine, plus
particulièrement celle du prix. Ainsi grâce
à la pilule du bonheur, Jacques et Ghislaine sont
sûrs de ne jamais faire une mauvaise affaire.
Avant d'aller chez Schmidt, Jacques et
Ghislaine prennent également grand soin de se brosser
les dents trois minutes avec un dentifrice détartrant -
bien qu'aucun des deux ne fume - qui efface de leur
cavité buccale toute odeur dérangeante,
substituant aux restes de manger une haleine de menthol
irréprochable.
Ainsi, les employés parfois
instables du supermarché Schmidt ne sont pas
perturbés dans leur travail par un détail
malheureux leur rappelant l'imperfection incontournable de
l'espèce humaine qui ne doit sévir qu'en dehors
des portes magnétiques du supermarché, là
où commence la chaleur étouffante de
l'été, où les pull-overs suent et les
oiseaux chient dessus, et évitent d'interrompre leur
tâche par une de ces absences ou hallucinations qui leur
font entrevoir comme dans une brume sur un quai
l'inutilité de leurs actes et les assènent de
cette humeur noire que d'aucuns appelaient jadis
"mélancolie" , les laissant engourdis,
récalcitrants et repliés sur eux-mêmes
comme des vautours. Or on ne saurait connaître posture
moins chaleureuse et accueillante et le client doit avoir envie
quand il achète sa salade, de lover son corps chaud
contre celui du prestataire de service. Car et l'amour bordel,
etc.
Jacques s'habille chez Célio et
Ghislaine porte des cols roulés Phildar même en
plein mois d'août, comme on peut le remarquer sur ce
charmant instantané très naturel pris à la
volée par un employé timide qui
régulièrement, fasciné par un couple si
beau, suit à travers les rayons le petit duo trottinant
et rêve lui aussi à des jours plus heureux avec un
être solidaire de son âme qui le rassure et le
comprend.
Mais derrière ce bonheur apparent
se cache une vérité sordide.
Ghislaine ne s'est pas fait faire une
couleur auburn.
Au moment où Ghislaine a
acheté son pull chez Phildar, celui-ci était d'un
blanc aussi pur que celui de la neige.
Ghislaine est couverte de sang.
C'est que Jacques, la nuit, fait des
cauchemars terrifiants depuis trois semaines, un mélange
en Freud et Prison Break. Rêve récurrent,
incontrôlable. Jacques part à la dérive.
Des souvenirs refoulés lui reviennent à la
mémoire.
Ce matin, en quittant sa maison, Jacques
prend un couteau. Ghislaine prend un fer à repasser.
Chacun cache son objet maléfique dans un contenant peu
adapté : Ghislaine masque son fer dans son sac à
main en peau de lézard. Jacques glisse le couteau
à mi-chemin derrière son ceinturon en daim
Célio.
Alors que Jacques pénètre
dans le magasin, il commence à avoir des bouffées
de chaleur, sa peau rougit au niveau des homoplates mais il
sait se contrôler et Ghislaine n'y voit que du feu. Elle
poursuit ses commentaires des dernières promos et tape
le bout de gras avec la nouvelle diplômée du
secteur animation-charcuterie qui a enfilé sa toque
hygiénique ce matin pour la première fois et
compte écrire les mémoires de sa vie en
entreprise à partir de ce week-end qu'elle publiera sous
forme de chronique dans Métro ou Direct Soir.
Arrivé au rayon des meubles,
Jacques craque. Un coup de sang lui monte à la
tête, ses yeux se ferment, il voit tout noir. Il passe sa
langue sur ses dents : elles sont couvertes de tartre ! Jacques
ressent une vive douleur piquante dans le bas de la nuque, il
baisse les yeux et s'aperçoit que son pantalon
Célio a un trou au niveau de la cheville gauche ! Un
trou qui laisse s'engouffrer l'air frais du supermarché
Schmidt. Jacques sent l'air hérisser ses poils à
l'intérieur de son pantalon en velours, il se sent
devenir bête, chien, loup... Ghislaine continue de
commenter le faux bois patiné d'une commode de 40x50 cm
au format idéal pour ranger les instruments de torture
des bébés mais Jacques n'écoute plus, il
est parti... Ghislaine a pris la pilule du bonheur ! Elle ne
peut pas deviner que grandit la tempête dans le cerveau
de Jacques.
Jacques sort le couteau de sa poche et
dans un moment de folie l'enfonce avec un cri dans les reins de
Ghislaine. Soulagement pour Jacques qui s'apaise soudain, et
surprise pour Ghislaine qui malgré les effets inhibants
de la pilule du bonheur se doute de quelque chose. Son pull se
remplit de sang, ses cheveux deviennent rouge. Ghislaine fait
une hémorragie. Mais sur le sol des supermarchés
Schmidt, le sang ne peut pas couler ! Imaginez : du sang sur le
sol du supermarché Schmidt ! Non ! Jamais de la vie !
Quelle honte ! Un système répulsif
élaboré fait fuir tous les liquides vers le haut
et le sang de Ghislaine lui monte à la tête,
colore ses cheveux, ses sourcils...
Malgré un certain haut le coeur,
Ghislaine est heureuse. Certes, elle se sent un peu
défaillir, mais elle croit que c'est à cause de
cette commode qui lui fait un effet hors du commun : papillons
dans le ventre, sensation de s'envoler, souvenir et oubli du
passé en même temps, elle voit des étoiles.
Jacques sort ses canines et recommence
à respirer. Le tartre a disparu, il le sait, il le sent.
Il tiendra sa main posée contre le dos de Ghislaine, ils
passeront à la caisse et ils pourront sortir. Pour la
première fois de sa vie, Jacques a hâte de sortir
de chez Schmidt. Une fois dehors, Ghislaine s'écroulera
en sang. Espérons que personne ne le remarquera. Il
remontera dans la voiture et trouvera le fer à repasser.
Depuis six semaines, Ghislaine revivait chaque nuit le
même cauchemar. Jacques avait parlé un soir
à table de prendre un chien. Hors de question pour
Ghislaine. Elle l'aurait tué à coups de fer.
Jacques rentrera seul ce soir. Enfin il
pourra se faire un bon film de boules en buvant un
bière. Avoir une vraie bonne vie humaine. Une vie sans
prix, inestimable. Une vie foirée, d'enfoiré.
Lucie Deguise (novembre 2007)
| |||||||
Novembre 2713
Vieux et rances croûtons
balisez pour vos balises
nous n'étoufferons pas dans l'oeuf
La mort de vos imageries
Tu as eu un homme
ma fille
dans ton ventre
sans feu
ni lieu
tu n'as pas pris sa queue
dans ta bouche
ni enroulé
les jolies mèches
de tes cheveux
dans un sourire
autour de ses couilles
pour en faire le tour
pour en faire le tout
pour
qu'elles ne pendent pas trop
Tu as eu un homme
dans ton ventre
madame
tu t'es donnée la peine
de le guider
millimétriquement
méticuleusement
ce satellite
entre tes lèvres
rigoureuses
soyeuses
botuliques
polies
honnêtes
et sans bavures
deux miroirs coulissants
premier choix
Oui
tu as eu un homme
dans ton ventre
ma soeur
sans éclats
contre un séjour
thérapeutique longue durée
au coeur des jours
au coeur des boues
de la mer morte
cette répétition ne
prête pas à rire
A-faces
Dans le jardin
céleste
par un matin de cendres froides
l'été indien
s'appelait encore automne
et tu as eu
un homme dans ton ventre
femme
il n'a pas répandu
de safran sur tes cuisses
il n'a pas déposé
de pétales de fleurs
dans chacune de tes paumes
tu n'as pas joué de charango
de cavaquinho
de kora
de yueqin
ni de contrebassine
il n'a pas ouvert un livre
tu n'as pas préparé ta
couche
vous n'aviez pas de terre
sous les ongles
sexe sans x
nulle vélléité
de mousseline d'amertume
n'eût à se faire de place
sur fond de bruits polissons
Non
ni confettis
ni fleurs
ni couronnes
tu as eu un homme dans ton ventre
ma mère
et me voila
cocon d'alien
aux yeux de feu naissant
verts
et véners
woYoï
j'attends mes mois
j'attends mon heure
je me recentre sur moi-même
je me reconstruis
je me carapate
j'observe déjà le temps
la promesse
je songe aux bergers Peuhls
A la reine Nayingi
troublante reine aux mains pleines
du pays des mille collines
et je compte les jours
qui me séparent
du grand moment
où je brûlerai ma demeure
avec un rire impérissable
avant d'aller brûler la vôtre
enculés que vous êtes
didjeko, 25 novembre 2713
| ||||||||
| ||||||||