neuvième Donateur : Alex Faure (réalité n°1372)

Sécurité!
On avait cru en ses propos!
Sécurité!
J'avais escompté le repos!

Mais depuis qu'il est là j'ai peur,
Pourtant je n'avais jamais peur,
Les sinistres et étroites rues,
Mangeurs de s'moule et de morue,
Je n'en avais jamais eu peur,
Et je n'en ai toujours pas peur.

Mais lui il m’a dit qu'il fallait en avoir peur,
Je comprends maintenant le piége du trappeur,
Mais rien y fait, j'ai peur,
Apeuré par sa peur,
Mon coeur se serre et je pleure ceux qui ont peur,
J'le supplie de cesser de ne plus avoir peur,
Mais rien a y faire.
Non, rien a y faire.
Il crie à plein poumons,
Il crie et nous pommons:

Sécurité!
Sécurité!
Sécurité!
Sécurité!
C'est la voie de la liberté!

Alex Faure (août 2007)
dixième Donateur : Enigmus (réalité n°2883)

Le rôle de sa vie

Cauchemar, jungle, famille, rôle, …

Il se réveille en sursaut. Malgré la fraîcheur du jour naissant, il a chaud. Il est en sueur. Cette nuit, comme toutes les autres, il a fait ce cauchemar qui le hante depuis si longtemps.

***

Il se revoit dans sa jeunesse, s'amusant avec les autres enfants à escalader les arbres et à courir après tout ce qui bouge. De tous, c'est lui le plus curieux et le plus téméraire, ce qui ne manque pas d'inquiéter sa mère qui le regarde s'épanouir tout en le surveillant. Il est libre. Il est heureux. Tout à coup la panique le gagne. Le tonnerre résonne. Plusieurs fois. Les cris fusent. Ceux de sa famille. Et ceux des monstres qui leurs veulent du mal. Soudain il sent le ciel s'abattre sur sa tête. Il s'effondre. Dans un ultime battement de cils, il distingue la silhouette son père, inerte à côté de lui, qui baigne dans son sang. Puis, c'est le noir.

***

Il regarde autour de lui. Tout est paisible et calme. C'est l'instant de la journée qu'il préfère. Seul le bourdonnement de la circulation naissante parvient à ses oreilles. Le soleil tarde à se lever sur la jungle endormie. Seuls quelques ombres de lumières pénètrent l'obscurité de la nuit qui s'achève.

Comme toujours il est le premier éveillé. Dans ces moments là, la nostalgie le rattrape. Il songe à son pays, terre de tous les miracles, qu'il a quitté alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Son plus grand désir serait d'y retourner un jour et retrouver tous ses amis et sa famille qu'il a laissés. S'éteindre sur la terre de ses ancêtres, là où il n'aurait jamais dû cesser d'être. Mais pour l'instant il ne peut pas. Il est coincé ici.

Heureusement, il a sa femme. A cette heure matinale, elle est allongée à ses côtés. Il la contemple. C'est la plus belle créature qu'il ait jamais vue. Quand elle dort on dirait un ange. Elle est merveilleuse. Tout en elle l'attire. Ses grands yeux bruns, sa démarche légère, son élégance naturelle. Et puis elle est toujours là pour lui. Elle le comprend. Elle le rassure. Ensemble, ils parlent le même langage.  Avec son fils et sa petite fille qui vient tout juste de naître, elle est ce qu'il a de plus cher au monde.

Les autres le jalousent. Ils l'envient et le lui font bien savoir. Souvent même ils le provoquent. Mais ils ne peuvent rien contre lui. Jusqu'à aujourd'hui, c'est lui le plus fort ; le plus respecté ; le plus aimé. C'est lui que l'on vient voir. C'est lui la star.

Les spectateurs ne vont d'ailleurs plus tarder à arriver. Bientôt les portes de son théâtre s'ouvriront et ils afflueront par milliers pour le voir tenir son rôle. Le seul qu'il connaisse. Celui qu'il a répété toute sa vie. Tous ces êtres étranges qui ressemblent aux monstres de son cauchemar et qui l'effrayent, viendront dans son zoo pour l'admirer, lui, le roi des primates, dans son enclos, souverain de « la Vallée des Singes »* .

*La Vallée des Singes est un parc animalier situé en France consacré entièrement aux singes (chimpanzés, gibbons et capucins en particulier). Plus d'information sur le site http://www.la-vallee-des-singes.fr.

Enigmus (août 2007)
onzième Donatrice : Anne Defontenay (réalité n°1399)

- Je graverai ton nom dans tous les océans.
- Pourquoi t'as peur de l'oublier ?
- Non, au contraire, ni ton nom ni toi, je t'aimerai toujours.
- Moi, ton nom il est gravé dans ma chair.

Voilà les derniers mots qu'ils se sont dits le jour où ils se sont quittés, assis cote à cote et main dans la main sur ce banc d'école, leurs regards perdus dans le vide.
Et puis chacun est parti de son coté avec, caché au fond du cœur, la folle promesse de ne jamais s'oublier… Et puis le temps. Et puis la vie….
Bien sûr cent fois, elle a eu envie de le rechercher, bien sûr elle a pensé qu'il l'avait oubliée. Elle se voyait l'appeler et à l'annonce de son prénom s'entendre répondre : « c'est qui ? » : insupportable, inenvisageable !
Bien sûr cent fois, il a eu envie de débarquer chez elle (il savait dans quelle ville elle vivait, il avait mené sa petite enquête). Il se voyait sonner à sa porte et peut-être qu'une petite fille lui ressemblant comme deux gouttes d'eau se serait écriée : « maman, un Monsieur pour toi !» : insupportable, inenvisageable !

Il était 4 heures du matin lorsque son portable signala l'arrivée d'un message.
« Je graverai ton nom dans tous les océans »
Elle : « moi, ton nom il est gravé dans ma chair ».
Lui : « Je t'aime »
1399.jpg
Elle «  Viens ».

Anne Defontenay (août 2007)
douxième Donateur : Andy Vérol (réalité n°5890)

Froidement. Pour qu'il ne s'échappe pas du jardin
Succession de micro-nouvelles froides et réalistes.


La piscine. Le Paradis.

Jean-Marc n'est pas là. Il est parti pour l'Australie. Les affaires. Et la rencontre avec cette association de chasseurs d'Autruches. J'étais persuadée qu'on ne pouvait pas chasser ces sales bestioles.

David entre. Il est muni d'un énorme appareil photo, un argentique puissant. Canon. Il est grand. L'œil bleu vif. Et l'autre vert d'eau. Ses yeux pers m'ont toujours rendue folle. C'est idiot. C'est comme ça. Jean-Marc ne doit pas savoir ça, si bien que je m'empêche d'y penser. C'est idiot.

Son métier de photographe pour Maisons & Travaux. Nous sommes très souvent sollicités par les journaux et magazines. Notre maison est un petit paradis perché sur la Butte Montmartre qui fait des envieux. Les pauvres. Oh les pauvres. C'est dans ce confort, ce monde extraordinaire que je me déplace. Que je vis. Que j'ai, un soir, étouffé Anthony… Notre fils… De 14 ans alors… Nous avons coulé son corps dans le béton de la piscine. Jean-Marc avait les mains tremblantes. Il regardait dans tous les sens. Je le voyais extrêmement paniqué. Oh le pauvre ! J'étais calme. Mon corps s'était relâché. Je sentais ma peau souple comme un tissu soyeux. C'était si particulier de voir le corps raide de mon fils submergé par cette pâte grise pleine de grumeaux.

David photographie les abords de la piscine. Le centre névralgique du paradis. Es Paradise… C'était une boîte de nuit à Ibiza. Je suis incapable de dire si elle existe encore. J'y étais allée avec Luc, mon premier fils. Il avait dansé contre moi sur une techno molle. Je me sentais mal. J'entends les clics/mitrailles de l'appareil photo. Il avait bu et ne cessait de dire que j'étais la plus belle. C'est pourquoi le lendemain, j'ai loué un bateau et qu'ainsi, je l'ai laissé couler au large. Mari catastrophe. Nous avons décidé de faire Anthony à mon retour d'Ibiza. Mais Anthony s'est approché de moi. De trop près.

« Tu as vraiment une chance incroyable de vivre là. » me dit David avant de lécher mes lèvres et de partir.


N'essaies pas de peaufiner tes coups de butoir


Livrer. Changer le stock de café. Les arômes tomate et citron. Je récupère les pièces. J'en laisse suffisamment pour faire de la monnaie et je referme la bête. Ensuite je ramène mon matériel dans le Partner pour remonter ensuite. Martine est là. Toute petite. A 4 ans de la retraite. « Viens-là ». JE la baise sur son putain de bureau. Direct. Sans lui parler. Je lui mets sa dose. La mienne aussi. Et j'encaisse les 50 €. Vieille salope…

Andy Vérol (septembre 2007)
treizième Donatrice : Cathy Garcia (réalité n°1881)

1881.jpg
mon amour est mort
mon bel amour
enfant des plaines
mon bel enfant est mort
 
le gringo est passé
dans son bolide d'argent
sa blonde suceuse
à pétrole
 
le gringo est passé
et dans le tatouage
creux de ses pneus
surgonflés
 
git mon enfant
mon bel amour
mon enfant qui jouait au foot
dans la poussière des rues
avec une canette de coca
 
mon petit prince écrasé
sur la piste des larmes
son sang comme un trophée
sur le parechoc
d'une cherokee


Cathy Garcia (septembre 2007)


1871.jpg
“restez rebelle” (réalité n°1871)

je déteste le plastique
je déteste les portables
les publicités qui crient
quand je hurle
à l’amorrrr
 
Pantins
Pantins
Pantins
De nos micro-cirques
Danser
Pleurer
Le cœur à l’air libre
Convulsions de poissons asphyxiés
Illuminations soudaines
Gerbes éphémères
La folie en réseau
Mais où va-t-on
 
Grande descente
Toboggan hypersonique
 
                a flash in the night
 
la grande prairie des rêves
nos chevauchées mécaniques
que reste t-il entre nos mains
enfants du siècle de pacotille ?
 
just a flash in the night
et la sueur scintillante
d’une boite à rythme
de merde !

Cathy Garcia (septembre 2007)

Quatorzième Donateur : Thomas Vinau (réalité n°1875)

 La voiture ronronnait et crachait des nuages de fumée dans la douceur glacée de l'aurore. Il était bien dans sa voiture, sans ne jamais se l'être formulé, il appréciait tous les jours ce quart d'heure intime dans sa bulle ronronnante aux remugles de tabac froid et de plastique chauffé par le radiateur. Il allumait la radio, mettait sa ceinture et faisait chauffer le moteur. C'était l'heure d'une chronique qui le faisait bien rire dans sa voiture et il sourit un bon coup tout en marmonnant pour lui seul “Quel con cet animateur”, puis il tira une bonne bouffée de la braise bistre de sa clope et ça allait déjà mieux, il était déjà un peu plus vivant.
 C'est pas qu'il était malheureux ou malade, c'est pas qu'il était bien ou mal, satisfait ou non, à plaindre ou à envier, simplement il était, normalement, quotidiennement, sans se rendre compte de rien. Il avait eu des ambitions comme tout le monde, il se débrouillait comme tout le monde. Il était comme tout le monde, à s'énerver aux feux rouges, à craindre d'arriver en retard, à klaxonner et à se faire klaxonner, à se moucher, s'allumer une autre clope, se curer un peu le bout du  nez, à  chan-tonner, à se laisser distraire par une poitrine sur une affiche publicitaire, à laisser une mère de fa-mille et ses enfants traverser sur un passage piéton contre l'avis général des automobilistes klaxon-nant dans son dos, à se garer mal mais à se garer tout de même.
 Il ne rêvait pas, il n'était pas en pleine réévaluation abstraite de lui-même, il ne pensait pas à autre chose qu'à la réalité de ses cinq sens dans l'urgence nécessaire de son acte quotidien, il n'était pas sorti de lui-même, il n'était ni distrait ni distant. Il n'avait pas eu le temps de ses ambitions, il n'avait pas d'ambition éloignée de sa survie immédiate, il se débrouillait confusément avec lui-même et la réalité de ses limites. Il n'avait pas eu le temps de s'indigner ou de s'émerveiller sur au-tre chose qu'une surprise dérisoire, il n'avait pas la prétention de ses plaisirs. Il conduisait pour aller travailler, sans penser, sans volonté particulière, sans envie particulière.
 Il s'est garé en râlant un peu contre la conductrice précédente qui s'était mal garé et qui l'obligeait à mordre le début de la rue avec son capot avant. Il a éteint la radio en entendant l'heure et en comprenant qu'il avait à présent douze minutes de retard. Il a pensé une dernière fois “quel con cet animateur” tout en décrochant sa ceinture et en attrapant la petite serviette en cuir qui lui servait de cartable ainsi que l'écharpe qui traînait sur le siège passager. En ouvrant la porte, il s'apprêtait à cracher et ses yeux étaient allés échouer contre le caniveau pendant qu'il raclait le fond de sa gorge. Il ne pensait à rien, il ne s'est rendu compte de rien. La camionnette qui arracha sa  portière tout en l'écrasant était d'un bleu gris métal plutôt vieillot. Il n'a pas vu sa couleur.

Thomas Vinau (septembre 2007)

 
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