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Sécurité!
On avait cru en ses propos!
Sécurité!
J'avais escompté le repos!
Mais depuis qu'il est là j'ai peur,
Pourtant je n'avais jamais peur,
Les sinistres et étroites rues,
Mangeurs de s'moule et de morue,
Je n'en avais jamais eu peur,
Et je n'en ai toujours pas peur.
Mais lui il m’a dit qu'il fallait en
avoir peur,
Je comprends maintenant le piége du
trappeur,
Mais rien y fait, j'ai peur,
Apeuré par sa peur,
Mon coeur se serre et je pleure ceux qui
ont peur,
J'le supplie de cesser de ne plus avoir
peur,
Mais rien a y faire.
Non, rien a y faire.
Il crie à plein poumons,
Il crie et nous pommons:
Sécurité!
Sécurité!
Sécurité!
Sécurité!
C'est la voie de la liberté!
Alex Faure (août 2007)
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Le rôle de sa vie
Cauchemar, jungle, famille, rôle,
…
Il se réveille en sursaut.
Malgré la fraîcheur du jour naissant, il a chaud.
Il est en sueur. Cette nuit, comme toutes les autres, il a fait
ce cauchemar qui le hante depuis si longtemps.
***
Il se revoit dans sa jeunesse, s'amusant
avec les autres enfants à escalader les arbres et
à courir après tout ce qui bouge. De tous, c'est
lui le plus curieux et le plus téméraire, ce qui
ne manque pas d'inquiéter sa mère qui le regarde
s'épanouir tout en le surveillant. Il est libre. Il est
heureux. Tout à coup la panique le gagne. Le tonnerre
résonne. Plusieurs fois. Les cris fusent. Ceux de sa
famille. Et ceux des monstres qui leurs veulent du mal. Soudain
il sent le ciel s'abattre sur sa tête. Il s'effondre.
Dans un ultime battement de cils, il distingue la silhouette
son père, inerte à côté de lui, qui
baigne dans son sang. Puis, c'est le noir.
***
Il regarde autour de lui. Tout est paisible
et calme. C'est l'instant de la journée qu'il
préfère. Seul le bourdonnement de la circulation
naissante parvient à ses oreilles. Le soleil tarde
à se lever sur la jungle endormie. Seuls quelques ombres
de lumières pénètrent l'obscurité
de la nuit qui s'achève.
Comme toujours il est le premier
éveillé. Dans ces moments là, la nostalgie
le rattrape. Il songe à son pays, terre de tous les
miracles, qu'il a quitté alors qu'il n'était
encore qu'un enfant. Son plus grand désir serait d'y
retourner un jour et retrouver tous ses amis et sa famille
qu'il a laissés. S'éteindre sur la terre de ses
ancêtres, là où il n'aurait jamais dû
cesser d'être. Mais pour l'instant il ne peut pas. Il est
coincé ici.
Heureusement, il a sa femme. A cette heure
matinale, elle est allongée à ses
côtés. Il la contemple. C'est la plus belle
créature qu'il ait jamais vue. Quand elle dort on dirait
un ange. Elle est merveilleuse. Tout en elle l'attire. Ses
grands yeux bruns, sa démarche légère, son
élégance naturelle. Et puis elle est toujours
là pour lui. Elle le comprend. Elle le rassure.
Ensemble, ils parlent le même langage. Avec son
fils et sa petite fille qui vient tout juste de naître,
elle est ce qu'il a de plus cher au monde.
Les autres le jalousent. Ils l'envient et
le lui font bien savoir. Souvent même ils le provoquent.
Mais ils ne peuvent rien contre lui. Jusqu'à
aujourd'hui, c'est lui le plus fort ; le plus respecté ;
le plus aimé. C'est lui que l'on vient voir. C'est lui
la star.
Les spectateurs ne vont d'ailleurs plus
tarder à arriver. Bientôt les portes de son
théâtre s'ouvriront et ils afflueront par milliers
pour le voir tenir son rôle. Le seul qu'il connaisse.
Celui qu'il a répété toute sa vie. Tous
ces êtres étranges qui ressemblent aux monstres de
son cauchemar et qui l'effrayent, viendront dans son zoo pour
l'admirer, lui, le roi des primates, dans son enclos, souverain
de « la Vallée des Singes »* .
*La Vallée des Singes est un parc
animalier situé en France consacré
entièrement aux singes (chimpanzés, gibbons et
capucins en particulier). Plus d'information sur le site http://www.la-vallee-des-singes.fr.
Enigmus (août 2007)
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- Je graverai ton nom dans tous les
océans.
- Pourquoi t'as peur de l'oublier ?
- Non, au contraire, ni ton nom ni toi, je
t'aimerai toujours.
- Moi, ton nom il est gravé dans ma
chair.
Voilà les derniers mots qu'ils se
sont dits le jour où ils se sont quittés, assis
cote à cote et main dans la main sur ce banc
d'école, leurs regards perdus dans le vide.
Et puis chacun est parti de son coté
avec, caché au fond du cœur, la folle promesse de
ne jamais s'oublier… Et puis le temps. Et puis la
vie….
Bien sûr cent fois, elle a eu envie
de le rechercher, bien sûr elle a pensé qu'il
l'avait oubliée. Elle se voyait l'appeler et à
l'annonce de son prénom s'entendre répondre :
« c'est qui ? » : insupportable, inenvisageable !
Bien sûr cent fois, il a eu envie de
débarquer chez elle (il savait dans quelle ville elle
vivait, il avait mené sa petite enquête). Il se
voyait sonner à sa porte et peut-être qu'une
petite fille lui ressemblant comme deux gouttes d'eau se serait
écriée : « maman, un Monsieur pour toi
!» : insupportable, inenvisageable !
Il était 4 heures du matin lorsque
son portable signala l'arrivée d'un message.
« Je graverai ton nom dans tous les
océans »
Elle : « moi, ton nom il est
gravé dans ma chair ».
Lui : « Je t'aime »
Anne Defontenay (août 2007)
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Froidement. Pour qu'il ne s'échappe
pas du jardin
Succession de micro-nouvelles froides et
réalistes.
La piscine. Le Paradis.
Jean-Marc n'est pas là. Il est parti
pour l'Australie. Les affaires. Et la rencontre avec cette
association de chasseurs d'Autruches. J'étais
persuadée qu'on ne pouvait pas chasser ces sales
bestioles.
David entre. Il est muni d'un énorme
appareil photo, un argentique puissant. Canon. Il est grand.
L'œil bleu vif. Et l'autre vert d'eau. Ses yeux pers m'ont
toujours rendue folle. C'est idiot. C'est comme ça.
Jean-Marc ne doit pas savoir ça, si bien que je
m'empêche d'y penser. C'est idiot.
Son métier de photographe pour
Maisons & Travaux. Nous sommes très souvent
sollicités par les journaux et magazines. Notre maison
est un petit paradis perché sur la Butte Montmartre qui
fait des envieux. Les pauvres. Oh les pauvres. C'est dans ce
confort, ce monde extraordinaire que je me déplace. Que
je vis. Que j'ai, un soir, étouffé Anthony…
Notre fils… De 14 ans alors… Nous avons
coulé son corps dans le béton de la piscine.
Jean-Marc avait les mains tremblantes. Il regardait dans tous
les sens. Je le voyais extrêmement paniqué. Oh le
pauvre ! J'étais calme. Mon corps s'était
relâché. Je sentais ma peau souple comme un tissu
soyeux. C'était si particulier de voir le corps raide de
mon fils submergé par cette pâte grise pleine de
grumeaux.
David photographie les abords de la
piscine. Le centre névralgique du paradis. Es
Paradise… C'était une boîte de nuit à
Ibiza. Je suis incapable de dire si elle existe encore. J'y
étais allée avec Luc, mon premier fils. Il avait
dansé contre moi sur une techno molle. Je me sentais
mal. J'entends les clics/mitrailles de l'appareil photo. Il
avait bu et ne cessait de dire que j'étais la plus
belle. C'est pourquoi le lendemain, j'ai loué un bateau
et qu'ainsi, je l'ai laissé couler au large. Mari
catastrophe. Nous avons décidé de faire Anthony
à mon retour d'Ibiza. Mais Anthony s'est approché
de moi. De trop près.
« Tu as vraiment une chance
incroyable de vivre là. » me dit David avant de
lécher mes lèvres et de partir.
N'essaies pas de peaufiner tes coups de
butoir
Livrer. Changer le stock de café.
Les arômes tomate et citron. Je récupère
les pièces. J'en laisse suffisamment pour faire de la
monnaie et je referme la bête. Ensuite je ramène
mon matériel dans le Partner pour remonter ensuite.
Martine est là. Toute petite. A 4 ans de la retraite.
« Viens-là ». JE la baise sur son putain de
bureau. Direct. Sans lui parler. Je lui mets sa dose. La mienne
aussi. Et j'encaisse les 50 €. Vieille salope…
Andy Vérol (septembre 2007)
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mon bel amour
enfant des plaines
mon bel enfant est mort
le gringo est passé
dans son bolide d'argent
sa blonde suceuse
à pétrole
le gringo est passé
et dans le tatouage
creux de ses pneus
surgonflés
git mon enfant
mon bel amour
mon enfant qui jouait au foot
dans la poussière des rues
avec une canette de coca
mon petit prince écrasé
sur la piste des larmes
son sang comme un trophée
sur le parechoc
d'une cherokee
Cathy Garcia (septembre 2007)
je déteste le plastique
je déteste les portables
les publicités qui crient
quand je hurle
à l’amorrrr
Pantins
Pantins
Pantins
De nos micro-cirques
Danser
Pleurer
Le cœur à l’air libre
Convulsions de poissons asphyxiés
Illuminations soudaines
Gerbes éphémères
La folie en réseau
Mais où va-t-on
Grande descente
Toboggan hypersonique
a flash in the night
la grande prairie des rêves
nos chevauchées mécaniques
que reste t-il entre nos mains
enfants du siècle de
pacotille ?
just a flash in the night
et la sueur scintillante
d’une boite à rythme
de merde !
Cathy Garcia (septembre 2007)
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La voiture ronronnait et crachait des
nuages de fumée dans la douceur glacée de
l'aurore. Il était bien dans sa voiture, sans ne jamais
se l'être formulé, il appréciait tous les
jours ce quart d'heure intime dans sa bulle ronronnante aux
remugles de tabac froid et de plastique chauffé par le
radiateur. Il allumait la radio, mettait sa ceinture et faisait
chauffer le moteur. C'était l'heure d'une chronique qui
le faisait bien rire dans sa voiture et il sourit un bon coup
tout en marmonnant pour lui seul “Quel con cet
animateur”, puis il tira une bonne bouffée de la
braise bistre de sa clope et ça allait
déjà mieux, il était déjà un
peu plus vivant.
C'est pas qu'il était
malheureux ou malade, c'est pas qu'il était bien ou mal,
satisfait ou non, à plaindre ou à envier,
simplement il était, normalement, quotidiennement, sans
se rendre compte de rien. Il avait eu des ambitions comme tout
le monde, il se débrouillait comme tout le monde. Il
était comme tout le monde, à s'énerver aux
feux rouges, à craindre d'arriver en retard, à
klaxonner et à se faire klaxonner, à se moucher,
s'allumer une autre clope, se curer un peu le bout du
nez, à chan-tonner, à se laisser
distraire par une poitrine sur une affiche publicitaire,
à laisser une mère de fa-mille et ses enfants
traverser sur un passage piéton contre l'avis
général des automobilistes klaxon-nant dans son
dos, à se garer mal mais à se garer tout de
même.
Il ne rêvait pas, il
n'était pas en pleine réévaluation
abstraite de lui-même, il ne pensait pas à autre
chose qu'à la réalité de ses cinq sens
dans l'urgence nécessaire de son acte quotidien, il
n'était pas sorti de lui-même, il n'était
ni distrait ni distant. Il n'avait pas eu le temps de ses
ambitions, il n'avait pas d'ambition éloignée de
sa survie immédiate, il se débrouillait
confusément avec lui-même et la
réalité de ses limites. Il n'avait pas eu le
temps de s'indigner ou de s'émerveiller sur au-tre chose
qu'une surprise dérisoire, il n'avait pas la
prétention de ses plaisirs. Il conduisait pour aller
travailler, sans penser, sans volonté
particulière, sans envie particulière.
Il s'est garé en râlant
un peu contre la conductrice précédente qui
s'était mal garé et qui l'obligeait à
mordre le début de la rue avec son capot avant. Il a
éteint la radio en entendant l'heure et en comprenant
qu'il avait à présent douze minutes de retard. Il
a pensé une dernière fois “quel con cet
animateur” tout en décrochant sa ceinture et en
attrapant la petite serviette en cuir qui lui servait de
cartable ainsi que l'écharpe qui traînait sur le
siège passager. En ouvrant la porte, il
s'apprêtait à cracher et ses yeux étaient
allés échouer contre le caniveau pendant qu'il
raclait le fond de sa gorge. Il ne pensait à rien, il ne
s'est rendu compte de rien. La camionnette qui arracha sa
portière tout en l'écrasant était
d'un bleu gris métal plutôt vieillot. Il n'a pas
vu sa couleur.
Thomas Vinau (septembre 2007)
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