61ème Donateur : Toméra B (réalité n°2717)

Mais qu'est ce que je fous là ?
Vous êtes là à bavarder avec de vieilles connaissances
ou d'obscures collègues du beau temps et surtout de la pluie,
du dernier trop long métrage très " in ", de ces chansonniers
si engagés et généreux chantant pour les restos du coeur...
D'un écrivain tenace à patauger dans le merdeux hit parade littéraire,
de ce poète enseveli réintégré contre sa volonté dans l'actualité
de l'anniversaire de sa naissance ou de sa mort. Amen.
De votre normalité si complaisante soit elle,
de votre libido en phase avec les trois quart de votre entourage
( ce qui n'est pas un exploit...)
D'une telle si garce, d'un autre si benêt,
de la dernière info lyophilisée,
du prochain match de l'équipe de France,
de la montée des eaux et des descentes aux enfers,
de l'infâme agression des barbares,
du désir sécuritaire, du peureux frisson de l'existence,
du visage de l'économie mondiale,
du prix au kilo de faux-filet,
du malheur planifié des uns
et de la félicité matérielle des autres,
du grand complot des puissants
   - Et que nous on y peut rien, mon brave monsieur...
Vous êtes là avec votre valise de phrases toutes faites,
signe d'intégration
et tout à coup vous vous sentez aspiré par un vent
qui souffle, qui souffle, une bourrasque qui vous emporte
vers d'étranges destinations,
plus rien ne vous retient aux amarres
surtout pas les neutres banalités qui s'empilent
plus connes les unes que les autres.
Une enseigne lumineuse clignote
dans votre cerveau avec inscrit
   " Mais qu'est ce que je fous là ?..."
triste figurant du vaudeville humain.
   " Mais qu'est ce que je fous là ?..."
Cette interrogation comme une poignée de porte
qui peut être ouvrirait le coffre fort
du bonheur et de toutes les pétillantes questions
de la tonitruante humanité.
On franchirait bien ce pas de porte.
On est bien trop lâche.
Le vent s'adoucit et nous dépose enclume
dans le sérieux revenu des parlottes.
De toute façon, nous ne sommes pas doués pour le bonheur
et peut être que le bonheur ne veut pas de nous.
De peur qu'avec nos drôles de manières
nous ne le transformions en malheur.
Je crois qu'il a pas tort.

Toméra B (novembre 2007)
62ème Donatrice : Lucie Deguise  (réalité n° 2879)
  
Jacques Sébastien Gaétan Lorgne habite au 46 de la rue Valmy, à Tours, dans une belle maison en tuffaut qui protège du froid, avec son épouse Ghislaine Juliette Aurore Lorgne et leur deux enfants encore au stade de la conception intellectuelle mais au combien présents tant l'on sait la puissance d'influence du fantasme sur la vie humaine. Mathieu Marc Jean Luc Paul Lorgne et Philippine Lorgne ne sont donc pas encore nés que leurs voeux criards, leurs bourrelets odorants et leurs déglutitions sont déjà sources de rires comme de larmes pour leurs parents cadres et psychotiques. Jacques et Ghislaine prennent tous les samedis la pilule du bonheur avant d'aller rêver chez Schmidt devant les futurs meubles du cagibi qu'ils emménageront pour leurs deux faux jumeaux dans les combles sans fenêtre où ils stockent la laine de verre. La pilule du bonheur leur permet de ne pas perturber dans leur travail les caissières et les chefs de rayon par une mine troublée ou peu engageante qui pourrait faire se demander à Madame Schmidt ce qu'elle fout là à une telle heure de la journée à se crever le cul pour trois ronds alors qu'elle a un bac+5, si en plus les gens font la gueule. Il peut arriver cependant que ce soit parfois eux, les employés du supermarché préféré de notre couple modèle, qui s'affichent maladroitement placides et maussades, à cause d'une vie - pourtant sereine - qui ne les satisfait pas pleinement. Dans ce cas, le directeur du supermarché sait trouver dans le regard implorant mais sévère du client désappointé un signal puis un soutien à une opération de licenciement express.
 
La pilule du bonheur lave le blanc des yeux comme les oignons et permet d'augmenter la netteté des images qui se reflètent sur la rétine, plus particulièrement celle du prix. Ainsi grâce à la pilule du bonheur, Jacques et Ghislaine sont sûrs de ne jamais faire une mauvaise affaire.
 
Avant d'aller chez Schmidt, Jacques et Ghislaine prennent également grand soin de se brosser les dents trois minutes avec un dentifrice détartrant - bien qu'aucun des deux ne fume - qui efface de leur cavité buccale toute odeur dérangeante, substituant aux restes de manger une haleine de menthol irréprochable.
 
Ainsi, les employés parfois instables du supermarché Schmidt ne sont pas perturbés dans leur travail par un détail malheureux leur rappelant l'imperfection incontournable de l'espèce humaine qui ne doit sévir qu'en dehors des portes magnétiques du supermarché, là où commence la chaleur étouffante de l'été, où les pull-overs suent et les oiseaux chient dessus, et évitent d'interrompre leur tâche par une de ces absences ou hallucinations qui leur font entrevoir comme dans une brume sur un quai l'inutilité de leurs actes et les assènent de cette humeur noire que d'aucuns appelaient jadis "mélancolie" , les laissant engourdis, récalcitrants et repliés sur eux-mêmes comme des vautours. Or on ne saurait connaître posture moins chaleureuse et accueillante et le client doit avoir envie quand il achète sa salade, de lover son corps chaud contre celui du prestataire de service. Car et l'amour bordel, etc.
Jacques s'habille chez Célio et Ghislaine porte des cols roulés Phildar même en plein mois d'août, comme on peut le remarquer sur ce charmant instantané très naturel pris à la volée par un employé timide qui régulièrement, fasciné par un couple si beau, suit à travers les rayons le petit duo trottinant et rêve lui aussi à des jours plus heureux avec un être solidaire de son âme qui le rassure et le comprend.
 
Mais derrière ce bonheur apparent se cache une vérité sordide.
 
Ghislaine ne s'est pas fait faire une couleur auburn.
 
Au moment où Ghislaine a acheté son pull chez Phildar, celui-ci était d'un blanc aussi pur que celui de la neige.
 
Ghislaine est couverte de sang.
 
C'est que Jacques, la nuit, fait des cauchemars terrifiants depuis trois semaines, un mélange en Freud et Prison Break. Rêve récurrent, incontrôlable. Jacques part à la dérive. Des souvenirs refoulés lui reviennent à la mémoire.
 
Ce matin, en quittant sa maison, Jacques prend un couteau. Ghislaine prend un fer à repasser. Chacun cache son objet maléfique dans un contenant peu adapté : Ghislaine masque son fer dans son sac à main en peau de lézard. Jacques glisse le couteau à mi-chemin derrière son ceinturon en daim Célio.
 
Alors que Jacques pénètre dans le magasin, il commence à avoir des bouffées de chaleur, sa peau rougit au niveau des homoplates mais il sait se contrôler et Ghislaine n'y voit que du feu. Elle poursuit ses commentaires des dernières promos et tape le bout de gras avec la nouvelle diplômée du secteur animation-charcuterie qui a enfilé sa toque hygiénique ce matin pour la première fois et compte écrire les mémoires de sa vie en entreprise à partir de ce week-end qu'elle publiera sous forme de chronique dans Métro ou Direct Soir.
Arrivé au rayon des meubles, Jacques craque. Un coup de sang lui monte à la tête, ses yeux se ferment, il voit tout noir. Il passe sa langue sur ses dents : elles sont couvertes de tartre ! Jacques ressent une vive douleur piquante dans le bas de la nuque, il baisse les yeux et s'aperçoit que son pantalon Célio a un trou au niveau de la cheville gauche ! Un trou qui laisse s'engouffrer l'air frais du supermarché Schmidt. Jacques sent l'air hérisser ses poils à l'intérieur de son pantalon en velours, il se sent devenir bête, chien, loup... Ghislaine continue de commenter le faux bois patiné d'une commode de 40x50 cm au format idéal pour ranger les instruments de torture des bébés mais Jacques n'écoute plus, il est parti... Ghislaine a pris la pilule du bonheur ! Elle ne peut pas deviner que grandit la tempête dans le cerveau de Jacques.
 
Jacques sort le couteau de sa poche et dans un moment de folie l'enfonce avec un cri dans les reins de Ghislaine. Soulagement pour Jacques qui s'apaise soudain, et surprise pour Ghislaine qui malgré les effets inhibants de la pilule du bonheur se doute de quelque chose. Son pull se remplit de sang, ses cheveux deviennent rouge. Ghislaine fait une hémorragie. Mais sur le sol des supermarchés Schmidt, le sang ne peut pas couler ! Imaginez : du sang sur le sol du supermarché Schmidt ! Non ! Jamais de la vie ! Quelle honte ! Un système répulsif élaboré fait fuir tous les liquides vers le haut et le sang de Ghislaine lui monte à la tête, colore ses cheveux, ses sourcils...
 
Malgré un certain haut le coeur, Ghislaine est heureuse. Certes, elle se sent un peu défaillir, mais elle croit que c'est à cause de cette commode qui lui fait un effet hors du commun : papillons dans le ventre, sensation de s'envoler, souvenir et oubli du passé en même temps, elle voit des étoiles.
 
Jacques sort ses canines et recommence à respirer. Le tartre a disparu, il le sait, il le sent. Il tiendra sa main posée contre le dos de Ghislaine, ils passeront à la caisse et ils pourront sortir. Pour la première fois de sa vie, Jacques a hâte de sortir de chez Schmidt. Une fois dehors, Ghislaine s'écroulera en sang. Espérons que personne ne le remarquera. Il remontera dans la voiture et trouvera le fer à repasser. Depuis six semaines, Ghislaine revivait chaque nuit le même cauchemar. Jacques avait parlé un soir à table de prendre un chien. Hors de question pour Ghislaine. Elle l'aurait tué à coups de fer.
 
Jacques rentrera seul ce soir. Enfin il pourra se faire un bon film de boules en buvant un bière. Avoir une vraie bonne vie humaine. Une vie sans prix, inestimable. Une vie foirée, d'enfoiré.

Lucie Deguise (novembre 2007)
63ème Donateur : didjeko (réalité n°2713)

Novembre 2713

Vieux et rances croûtons
balisez pour vos balises
nous n'étoufferons pas dans l'oeuf
La mort de vos imageries

Tu as eu un homme
ma fille
dans ton ventre
sans feu
ni lieu
tu n'as pas pris sa queue
dans ta bouche
ni enroulé
les jolies mèches
de tes cheveux
dans un sourire
autour de ses couilles
pour en faire le tour
pour en faire le tout
pour
qu'elles ne pendent pas trop

Tu as eu un homme
dans ton ventre
madame
tu t'es donnée la peine
de le guider
millimétriquement
méticuleusement
ce satellite
entre tes lèvres
rigoureuses
soyeuses
botuliques
polies
honnêtes
et sans bavures
deux miroirs coulissants
premier choix

Oui
tu as eu un homme
dans ton ventre
ma soeur
sans éclats
contre un séjour
thérapeutique longue durée
au coeur des jours
au coeur des boues
de la mer morte
cette répétition ne prête pas à rire

A-faces
Dans le jardin
céleste
par un matin de cendres froides
l'été indien
s'appelait encore automne
et tu as eu
un homme dans ton ventre
femme
il n'a pas répandu
de safran sur tes cuisses
il n'a pas déposé
de pétales de fleurs
dans chacune de tes paumes
tu n'as pas joué de charango
de cavaquinho
de kora
de yueqin
ni de contrebassine
il n'a pas ouvert un livre
tu n'as pas préparé ta couche
vous n'aviez pas de terre
sous les ongles
sexe sans x
nulle vélléité
de mousseline d'amertume
n'eût à se faire de place
sur fond de bruits polissons

Non
ni confettis
ni fleurs
ni couronnes
tu as eu un homme dans ton ventre
ma mère
et me voila
cocon d'alien
aux yeux de feu naissant
verts
et véners
woYoï
j'attends mes mois
j'attends mon heure
je me recentre sur moi-même
je me reconstruis
je me carapate
j'observe déjà le temps
la promesse
je songe aux bergers Peuhls
A la reine Nayingi
troublante reine aux mains pleines
du pays des mille collines
et je compte les jours
qui me séparent
du grand moment
où je brûlerai ma demeure
avec un rire impérissable
avant d'aller brûler la vôtre
enculés que vous êtes

didjeko, 25 novembre 2713

 
logo_gris.gif
2717.jpg
2713.jpg
2879.jpg
jf-le-scour.com   accueil  mail  première page  précédents  suivants
the
croute
.com